POURQUOI VOUS N'AIMEZ PAS ÉCRIRE

Essai d'exorcismes pour se décomplexer et s'approprier enfin son écriture

 

Si vous observez les façons dont on vous parle d'écriture avec un air pénétré, vous constaterez que les propos se résument à ces deux thèmes principaux :

  • le caractère sacré de la chose écrite,
  • la souffrance à laquelle obligerait cet exercice.

        Dans la façon de parler de l'écriture comme d'un art sacré, on retrouve pêle-mêle la vénération de l'orthographe (très en vogue, en 2016, on y reviendra), les considérations esthétiques à propos du style, la panthéonisation des écrivains de leur vivant et le soin délicat avec lequel on est prié de manipuler les livres (1). Ce caractère sacré est ambivalent : il peut créer le désir d'écrire ou l'empêcher.

       

     Second thème : la souffrance dans l'écriture. Ce thème convoque la figure de l'écrivain-sauveur qui, seul, par son exceptionnel talent ou génie, s'arracherait au commun des mortels, au prix d'une grande souffrance et de solitude. Le sentiment de nullité lorsqu'on s'essaye en débutant dans l'écriture souffre difficilement la comparaison avec les grands classiques de la littérature et voici qui rehausse la statue d'exception que constitue l’Écrivain-Commandeur. Il y aussi le souvenir marquant de la règle scolaire (qui juge confusément votre expression d’enfant et votre aptitude d’élève à conformer son écriture à un résultat attendu), ce qui peut rendre l'écriture pénible ou redoutable (1 bis), marquée, dès les premiers pas, de blessures. On peut en guérir. Pour certains, les traces demeurent.

 

       Les éléments de la fascination de l'écriture sont réunis : en même temps, l'écriture inspire la crainte et le désir, l'une et l'autre se contrariant. Au final, si le désir ne l'emporte pas, restent le blocage et le rejet ; au mieux, la contemplation. C'est-à-dire : renoncer à écrire soi-même et lire l’œuvre des autres.

 

 

Ce contexte social et culturel empêche l'écriture.

Il agit comme un formidable repoussoir. Voici pourquoi on n’aime pas écrire, tout en voulant bien savoir. Pour y parvenir, il s'agit de dépasser les représentations négatives, les saisir dans leur caractère d'illusions. Même en essayant d'écrire, elles peuplent l'esprit du rédacteur et empêchent, comme des ronces, son avancée. Trois lourds préjugés (parmi d'autres) impriment une vision négative de l'écriture :

  • (On dit et on répète que) l'écriture est difficile : c'est une torture, la cause de souffrances. La page blanche, le mot qui manque, l'idée qui s'échappe au contact de l'écrit, la peur de se relire, etc. Nul n'a envie de se confronter à ce calvaire annoncé, sauf avec la solide intention d'en triompher et sans doute avec les moyens d'y parvenir.
  • (On dit aussi que) l'écriture n'est accessible qu'aux écrivains, seuls dignes d’écrire et de publier. Si le jet de votre plume n'est pas digne de chefs-d’œuvre, alors passez votre chemin. C’est oublier que les écrivains raturent autant qu’ils écrivent. Lis tes ratures…(2)
  • On redoute la crainte d'être incompris sur le fond et la honte d'être jugé sur la forme, que nous soyons réduits et enfermés à jamais dans notre texte, que l'on s'y expose malgré nous.

Ces représentations sont terrifiantes. Fuir est la meilleure des options. Mais on peut tenter de les empêcher de nuire. 

 

 

Exorcismes d’écriture

 

Pourtant nous écrivons ou nous devons écrire. Péniblement. Laborieusement. Effroi et labeur pèsent sur la plume dans ce brouillard d'illusions entretenues de manière répétée (3) et qui se développent dans une absence de repères positifs ou créatifs dans l'écriture. La pénibilité de l'écriture pèsent donc jusqu'à l'insatisfaction des lecteurs qui s'accordent, preuves à l'appui, qu'écrire et lire, c'est difficile. La boucle est bouclée.

 

En sortir, enfin.

Ces représentations effroyables sont des illusions. Bien réelles, comme toute illusion. Mais inutiles et stériles. Reprenons.

  • La peur d'être jugé ? C'est le mal du débutant : premier pas hésitant, héritage scolaire, rapport social craintif, ou peur de se risquer à l’aventure, etc. Le malaise dépend de ce que l’on investit dans l’écriture. La pratique répétée, seule ou accompagnée, est un remède qui permet de convertir cette peur en un moteur, de se tourner vers la conquête de l'écriture, de prendre de l'assurance en s'appuyant sur des repères. Un antidote. Savoureux, qui plus est. Alors le brouillard se dissipe, et on commence à percevoir des formes, des reliefs et des saveurs, à développer du goût, on commence à apprécier son texte tel qu'il est, à pouvoir le manier et le remanier, à apprécier les nuances dans la langue et le style. Ça colore l’existence, de s’approprier la langue.
  • La confusion entre écriture et littérature est assez commune. Le terme d'écriture désigne le style, l'oeuvre, associé à la littérature. Elle remplace un moyen social d'expression et de publication (de pensée, de communication et d'autres), multiforme, accessible à tous, par une production formelle réservée à une élite d'écrivains et de poètes. C'est un trait d'une société productiviste et divisée en spécialisations que de réserver l'écriture aux écrivains et aux journalistes, à ceux qui ont pour métier ou fonction spécialisés de publier de l'écrit. Question : à quoi sert de savoir écrire, sinon pour devenir écrivain ? Contre-question : à quoi servent les moyens de publication et de communication, sinon à publier le meilleur de soi-même ? L'écriture est un processus, elle a des multiples fonctions, genres, types et styles parmi lesquels la littérature en constitue une forme parmi d'autres. Réponses ci-après, dans "Écrire, ce que ça donne".
  • L'écriture est plus problématique que difficile. Elle est difficile parce qu'on ignore qu'elle est problématique. L'écriture pose problème. Et le problème est un trésor enfoui sur lequel on bute. Par exemple : un fait nous inspire l’envie d’écrire. Mais, en écrivant, nous perdons le fil, l'objet nous échappe tout à coup. Que se passe-t-il ? Inspirés, nous avons cru posséder une connaissance suffisante de l'objet dont nous voulions parler. L'écriture révèle un problème : le manque d'information préalable pour développer le propos. L'écriture n'est pas difficile si on peut interpréter les obstacles qui se présentent pendant son processus.

Ce n'est pas l'écriture qui est difficile, mais les représentations négatives que nous avons évoquées qui conduisent à l'absence de pratique sereine qui, elle-même, rouille la capacité à exprimer ou à reconnaître les difficultés, leur nature exacte, à trouver les astuces et les dépassements. Enfin, écrire n'oblige pas à une carrière dans le monde des lettres, mais à manifester une certaine autorité (de auteur) auprès de lecteurs, collègues, clients, partenaires, autres.

 

 

Écrire, ce que ça donne

Écrire est essentiel, comme une respiration, une alliée indispensable. Écrire, c'est le processus qui permet d'élaborer une parole, à propos de faits réels et imaginaires. Elle fait symbole.

Pratiquée régulièrement, elle procure quelques effets prodigieux. Elle facilite la lecture, assouplit votre intellect, augmente votre vocabulaire, cisèle votre observation, renforce votre argumentation, déploie vos raisonnements, élucide une réalité complexe, développe une idée, expose un problème et vous permet de le dépasser, vérifie vos connaissances et ouvre la voie pour les étendre, etc.

Car la question essentielle de l’écriture pour publication, c’est la relation que l’on installe durablement avec des lecteurs. C’est l’écho facilité que notre parole peut provoquer, cet espace  dans lequel on construit un propos que l’on choisit de publier, un propos qui ouvre par les mots des réalités, des idées, de la richesse symbolique.

 

 

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Nos stages en écriture proposent une approche culturelle, conquérante et réjouissante à l'écriture, à décomplexer son rapport à l'écrit et à développer ses capacités.

Dans cette présentation nous disons en quoi nos stages d'écriture vous mènent à vous approprier une culture de l'écrit, dépasser les blocages, de progresser sans vous départir de votre sensibilité, de découvrir peu à peu votre écriture.

 

 

 

 

1. Une médiatrice du livre, proche de Rouletaplume, racontait qu’une enseignante s’était prise à hurler aux enfants « qu’il y aurait de la viande collée au mur » s’ils s'aventuraient à toucher les  livres neufs et ce en pleine séance de… médiation du livre, qui invitait à se les approprier. Sacré, non ?

1 bis. La scolarité encore.  On raconte qu'un exercice au collège s'énonçait ainsi. " Dans ce poème de Jules Supervielle, ce vers "Il est tard, je m'en vais". Une conjonction de coordination manque. Laquelle ?" Autant l'exercice de reprise désacralise le texte, mais il ferme l'imaginaire sur une seule des 7 conjonctions de coordination. Nous avons trouvé 5 possibilités logiques. Aucune n'embellit le vers.

2. Nous aborderons le mythe de l'écrivain solitaire dans "Pourquoi se former à l'écriture".

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3. Le célèbre pédagogue Philippe Meirieu a publié en 2007 un livre de recettes à l'écriture intitulé "Qu'il est facile d'écrire". 

Non, correction.

Le livre est titré : "Pourquoi est-ce (si) difficile d'écrire".