Tu votes ce que je veux, avec mes "Je veux"

La nouvelle année est propice aux vœux. La période électorale, aux « je veux ». Ces « Je veux » fouettent le rythme des campagnes, le visage des électeurs, celui impassible des indécis. Quelle est leur valeur ? Leurs effets ?  Que sont ces "Je veux" tirés de la langue politicienne.

 

« Je veux une alternance franche » (N. Sarkozy).

« Moi je veux convaincre les électeurs » (M. Valls).

« Je veux être le candidat de la vérité » (F. Fillon).

« Je veux faire de la présidentielle un référendum sur les traités européens » (J.-L. Mélenchon).

 

"Je veux". Cette formulation apparaît fréquemment dans la parole politique depuis le précédent mandat présidentiel. Cette mode perdure. Avec frénésie parfois, comme on peut le lire ci-dessous, le  4e jour de l'année, top départ de l'envoi des "vœux".

 

 

Tweets comportant un "Je veux" pendant la seule journée du 4 janvier 2017.

Extraits du compte twitter de campagne d'un candidat déclaré à la primaire et ancien premier ministre, Manuel Valls.

 

 

       "Ze veux du chocolat". "Ze veux ce zouet".  Quand ils commencent à articuler, les enfants expriment leur envie sans ambages : "Ze veux". Entendre le même type de formulation, l'élocution en plus, dans la bouche du personnel politique à propos de décisions aux conséquences nationales concernant produit un effet déconcertant.

Quand un homme ou une femme politique prononcent un « je veux », qu’expriment-ils exactement : une volonté ou un souhait ? Quelle différence ? Vouloir, c’est s’efforcer de la réaliser. C’est à la fois déclarer le but vers lequel on se dirige (intention) et réunir les moyens nécessaires pour l'atteindre. Souhaiter, en revanche, c’est vouloir sans pouvoir. Dans « Je vous souhaite une bonne année », on entend : "je voudrais que votre année soit bonne sans pouvoir vous assurer qu’elle le sera, ni que je m’engage à la vous rendre bonne." De bons vœux, donc.
 

     Alors, ces « je veux » : souhait ou volonté ? Le verbe indique l'expression d'une volonté mais le contexte en modère la force. On peut mesurer la valeur fiduciaire (la confiance, le crédit) de ces "Je veux" en vérifiant si le locuteur a les moyens ou non de réaliser sa déclaration. Ce critère est déterminant pour établir la distinction entre souhait et volonté.

     Les quatre premières citations placées au début de cet article relèvent clairement du souhait : des effets d'annonce. Les autres formulent des promesses électorales avec ce sous-entendu murmuré : "Donnez-moi les moyens de réaliser ma volonté" en portant le locuteur à l'exercice du pouvoir, en adhérant à sa proposition, en votant pour sa candidature. 

    Un autre moyen de mesurer le degré de volonté (et donc d'engagement à le réaliser) est la précision du but ou de l'objet recherché. Parmi la série de 7 tweets ci-dessus, 2 d'entre eux semblent indiquer un début de mesure : la défiscalisation des heures supplémentaires avec un plafonnement, les droits sociaux accordés aux commerçants et artisans. Que dire des autres ?

 

 

Le performatif, disent les communicants.

    Le discours performatif, c’est une parole qui se réalise en se prononçant. "Je vous pardonne", "Je vous donne le bonjour", ou "Je vous promets". Le caractère performatif est parfois difficile à saisir. L'énoncé "Je vous promets" est performatif ; que la promesse soit effective ou non, c'est une conséquence espérée sur un plan moral mais la promesse a une valeur en tant que telle, que la chose promise soit réalisée ou non.

     Dire "Je veux" a un caractère performatif. Même si elle n'est pas suivie d'effets, même si elle n'est qu'une annonce, cette locution vaut pour elle-même. Ce "Je veux" veut créer un effet d'affirmation, ostentatoire ou spectaculaire, de volonté, de motivation : il place le locuteur en position de capitaine, indiquant un cap. Dans ce « je veux », il y a le retour, dans des habits neufs, de la promesse électorale et de la figure du sauveur. Il manifeste aussi une personnification du programme ou d'un parti, une relation de proximité avec son électorat, comme ces magazines télévisés qui proposent un entretien sur canapé.

 

Utilité électorale du "Je veux"

   Au-delà des normes médiatiques ou des espérances plénipotentiaires, le "je veux" joue un rôle particulier dans le changement des stratégies électorales observé par des chercheurs. Le vote d'adhésion à un projet politique n’est plus, disent-ils. Le succès électoral de Barack Obama en 2012 doit beaucoup à l'analyse de la masse électorale par le recours au traitement des données numériques, le fichage des profils électoraux et le ciblage rationalisé des démarchages militants.

    Les équipes des partis et des candidats ciblent les profils, les catégories d'électeurs et leurs attentes. Ces propositions visent à obtenir l'intention de vote de ces groupes électoraux comme des segments de clientèle de façon à accumuler les probabilités numéraires de victoire électorale.

    Dans cette machinerie, la forme des « je veux » fonctionnent comme un hameçon électoral, un ancrage qui retient l'attention d'électeurs vers un candidat favorable à leurs intérêts ou leurs préoccupations. Le succès est vérifiable par les effets obtenus dans les réseaux sociaux, une modification significative des adhésions, la nature des réactions ou les fluctuations des intentions de vote.

       La rafale de tweets reproduits sur cette page portent la marque de cette tentative de séduire différents groupes sociaux ou professionnels : les fonctionnaires, les indépendants, les commerçants, les salariés de l'industrie et ceux du numérique, etc. Mais la tentative est grossière : elle n'énonce pas de proposition précise ou concrète. Elle n'a pas le caractère pragmatiste d'une volonté (but) ni d'une promesse. L'échec est flagrant : le "je veux" reste dans une posture, une intention, un souhait.

 

Diktats médiatiques, caporalisme et autisme

Les formats des réseaux sociaux et la titraille des médias exigent des formules courtes et choc. Le « Je veux » se plie parfaitement à ce diktat. Une déclaration moins tonitruante, mais choquante, peut être reformulée par les médias eux-mêmes sur ce modèle. « Je veux supprimer les subventions du Planning familial » : cette phrase n’a pas été prononcée par la députée Marion Maréchal-Le Pen, mais traduite par le média. Le propos que la candidate à la tête de la Région PACA a tenu lors de sa conférence correspond à une déclaration sur ce mode personnel, cette annonce coïncidant avec le plein pouvoir que la candidate entendait incarner à la présidence de la région PACA. Le "je veux" coïncide avec une conception caporaliste de la fonction d'élu politique que les candidats s'empressent de copier afin de revêtir a priori le "costume" ou "l'habit".

 

     Que la proclamation d'une volonté personnelle soit l'instrument d'un clientélisme électoral à grande échelle, le paradoxe est amusant. Cette personnification du pouvoir estompe de l’espace public, la dimension collective, l'examen des situations et les débats nécessaires à la délibération, la contradiction de la politique et celle des intérêts de groupes sociaux plus ou moins organisés, plus ou moins divisés. Autant d'alibis possibles, si une opposition inconciliable se manifestait pour excuser le renoncement à une promesse audacieuse, en bonne intelligence démocratique, cela s'entend.

 

L'impact sur la démocratie

         Ce caractère têtu du"je veux" a quelque chose de désarmant. Par sa fraîcheur puérile, cette locution ne dépareille pas d'un contexte de communication politique qui s'accompagne d'une organisation politique verticale et d'un appareil décisionnaire qui avance à marche forcée, entêtée dans un train de réformes accompagné. La répétition cadencée d'éléments de langage qui tiennent du wishful thinking (la croyance que le souhait se réalise tout seul) dispensent de la réponse aux analyses contradictoires des syndicats ou de la société civile.

         "Je veux prolonger l'état d'urgence jusqu'à l'élection présidentielle", avait dit le Président François Hollande, en novembre 2016, profitant des commémorations du 13 novembre 2015. Revêtu du pouvoir réel et symbolique, et de l'émotion collective du moment, la volonté se réalise, sans qu'il soit besoin d'expliquer le motif, si la décision relève de menaces terroristes avérées ou d'un souhait personnel de maintenir les pouvoirs exceptionnels.

 

        Exacerbée, la personnification du pouvoir et la communication politique autorisent l'usage de la force législative (49.3, et autres), l'état d'urgence et la répression policière. En cas de contestation visible et prononcée, on ré-affirmera la positivité de la réforme par ces mêmes moyens. Si besoin, on réaffirmera sa détermination personnelle à "aller au bout de la réforme" qui est "nécessaire et bonne". "Je veux".

 

D.R.
D.R.

A.J.// 30/01/2017

modifié le 3/2/2017