la passion du décodage

Décodage, décryptage, désintox. Dans ces rubriques, des médias nationaux décodent, décryptent l'actualité. Et pas dans les autres ? 

Les rubriques "décodage" et  "décryptage" brillent dans le firmament obscur de l'impénétrable et infini devoir de s'informer. Chaque mass média d'information dispose de son oasis de "vérité vérifiée et garantie vraie" dans lequel l'assoiffé pourra y puiser son comptant d'info vraie sous les sables de l'actualité et de la communication planétaire polluées, forcément polluées.

 

Les quotidiens nationaux abritent ces ilots d'information. En France, Le Monde a sa rubrique Décodages. Libération, son équipe de Désintox. Le Figaro, lui, a relégué son Décodage dans les pages du Plus, et se trouve investie par la rédaction du Figaro Madame. On laissera de côté cette rubrique. Au-delà de ces rubriques, les termes de décryptage ou de décodage sont devenus courants dans les médias d'information. Ils rejoignent la mode du fact-checking, de la vérification des faits contre la parole publique. 

 

Que décode-t-on ? 

Le décodage et le décryptage séduisent par cet aspect subversif, au sens de retourner l'endroit à l'envers, lever le rideau, découvrir ce qui est caché (cryptos). On vous dit n'importe quoi, nous vous révélons le vrai. 

 

Dans sa rubrique Désintox, Libération traite généralement les approximations, les erreurs et les interprétations du personnel politico-médiatique (de droite), au pouvoir ou dans l'opposition, en France ou ailleurs, les emballements de ses confrères et consoeurs, ainsi que les rumeurs insistantes qui paraissent sur le web ou les réseaux sociaux et qui prétendent à un statut d'information ou de contre-information, toutes ces scories qui circulent dans les veines médiatiques et qui pénètrent les cerveaux disponibles. 

La Désintox de Libération va dans ce sens. L'emballement médiatique, la rumeur et les guerres partisanes font tordre les informations, les dépêches ou les annonces dans un sens intéressé. La course au buzz, au retweet, au "partage" force dans cette direction. Les déclarations politiques, les rumeurs ou ces réactions médiatiques sont passées au tamis de la vérification des faits et des données. 

Cette rubrique se situe proche de la ligne de Hoaxbuster (le chasseur de canular), un site français qui repère et révèle les bobards qui circulent sur le web, et pas seulement en terme d'information. 

 

Dans sa rubrique Décryptages, Le Monde assume une certaine variété de traitement. Sur-titrés "Point de vue", "Analyse", "Tribune", ses articles classés sous cette rubrique accueille une variété de contributeurs, parfois extérieurs au journal, et dévoilent des éléments nouveaux ou une mise en perspective originale. C'est donc une mise en perspective, un point de vue duquel on peut prêter aux faits une interprétation diverse. Du commentaire sur un fait d'actualité qui, en général, fait le buzz. 

L'ensemble constitue une rubrique de magazine, apportant des compléments d'infos, et non un personnel de la rédaction dévoué à une véritable vigilance exercée sur le contenu et le monde médiatiques.  

 

 

En résumé 

Les rubriques accueillent une diversité de traitement. Les lecteurs trouvent, en terme de désintoxication : 

- un commentaire plus ou moins pertinent, sous un angle original, d'un fait d'actualité, 

- une correction d'une interprétation fallacieuse ou d'un commentaire politique mensonger, 

- une analyse causale ou sémiotique d'un fait d'actualité, 

- une tribune d'un expert, 

- la vérification de faits, de chiffres, de statistiques ou d'éléments, le fameux fact-checking

- un "pan sur le bec" sur une interprétation tirée par les cheveux et tendancieuse des confrères et consoeurs journalistes.  

 

L'existence de ces rubriques semble signifier aux lecteurs qu'ils y trouveront  l'information exacte. Par extension, chacun peut en déduire que le reste de la production médiatique est constituée de communication, de commentaire, de transmission docile des scénarisations et des stratégies narratives d'entreprises ou de candidats politiques, des positionnements d'images dans les guerres partisanes ou économiques  (cf. La cérémonie cannibale, de Christian Salmon), voire d'une simple obédience idéologique. De désinformation.

 

 

En conclusion

La fonction du journaliste n'est pas réduite à restituer les faits, traquer les errements. Mais : 1. Relater, rapporter, 2. Eclairer, mettre en contexte, 3. Assumer le suivi de l'actualité. Ainsi parle aux médias et à ses confrères, le journaliste Bertrand Verfaillie, dans son petit ouvrage (mis en lien, à droite). Accepter le souci de l'exactitude comme une exception de rubrique, c'est peut-être tolérer la qualité du reste de la production médiatique d'information. L'excuser de son manque d'exactitude. 

 

C'est aussi un travail d'Hercule, ou le tonneau des Danaïdes, Sisyphe roulant son rocher de probité journalistique. Comment écoper tout un océan d'information travestie ? Mais il peut y avoir des effets imperceptibles et salvateurs. L'épinglage au mur du çon peut froisser quelque peu l'image politique ou la probité d'un média.  

 

 

Ces rubriques, par leur étrangeté, figurent surtout l'isolement du principe d'enquête journalistique dans les productions médiatiques. L'information trouverait ici son exception dans une règle de désinformation ou d'information travestie. Ces rubriques n'y échappent pas.  

 

Pour des regards, des commentaires et des analyses plus conséquents  sur les médias, on peut visiter les sites Acrimed ou Arrêt sur images.  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le fact-checking

Le fact-checking apparaît comme la riposte journalistique dans un monde où la communication s'affranchit du principe d'exactitude en disposant du pouvoir symbolique de l'autorité. Une autorité intéressée à laquelle les mass média ouvrent les voies d'accès. Par des interviews, des reportages et des mises en scènes qui servent le locuteur habile à manier les codes et les ficelles de l'entertainement médiatique à déployer un propos sans contradiction.

 

Cette fascination pour l'autorité symbolique du "parler vrai" est le piège, les médias s'exaltent et participent de cette fascination pour le pouvoir, dans une sorte d'alliance. C'est le règne de la marchandise médiatique à flux tendu, comme disait Godard de la télévision : un robinet ouvert et qui déverse un flot où le pire côtoie le meilleur. Une grande surface.

 

 

 Le fact-checking, service d'information minimum, se fait le service d'entretien et de nettoyage des grandes surfaces de la promotion de l'image, des commentaires politiques, des scénarisations de la vie politique. C'est une réponse dos au mur, après coup, qui  ne moralise pas les excès de la communication politicienne, ses stratagèmes. Les journalistes, perché sur la logique de l'urgence inhérente à l'actualité, sucent la roue de celle-là même. 

 

Mais les données ne sont pas les faits. Ils sont déjà une interprétation, ils sont déjà le produit d'un traitement connu ou inconnu, le résultat d'une enquête ou d'un sondage, qui ne sont pas exempts de décalage avec le réel.